Madame, Monsieur,
La campagne pour les élections régionales est pour moi l'occasion d'intervenir sur un dossier qui m'intéresse depuis plus de 20 ans, je veux parler de la réouverture de la ligne ferroviaire de Laveline devant Bruyères à Gérardmer.
Beaucoup de choses ont été dites, plusieurs études on été faites, et des personnes, et il faut les saluer, entretiennent la voie de manière à ce qu'elle ne tombe pas dans l'oubli. Mais j'ai l'impression que, soit par calcul, soit par méconnaissance de ce qu'est un transport ferroviaire moderne adapté à cette ligne, et de ce qu'il peut apporter au développement économique, certaines déclarations ou certaines actions conduisent de fait à un abandon irréversible.
Je vais d'abord expliciter pourquoi je pense, comme beaucoup d'autres, que cette ligne présente des potentialités. Ce n'est pas par nostalgie, mais bien parce que de nombreux exemples français, et surtout étrangers, montrent tout le bénéfice qu'une région touristique, mais aussi avec des difficultés économiques, peut tirer d'une desserte ferroviaire moderne de qualité.
Tout d'abord, la population concernée par cette ligne est loin d'être négligeable. Il y a bien évidemment Gérardmer (8776 habitants, 3 ième ville des Vosges), Granges sur Vologne (2332 habitants), Aumontzey (466 habitants) au contact direct de la ligne de chemin de fer, mais également Xonrupt Longemer (1557 habitants) soit au total plus de 13 000 habitants, privés aujourd'hui d'une desserte en transports publics de qualité, à la fois vers la préfecture, Epinal, mais aussi vers les services supérieurs de la région lorraine (enseignement, soins, etc..). Cet accès aux services supérieurs étant l'un des critères pris en compte par les investisseurs désirant s'implanter dans une région, la zone de Gérardmer se trouve donc handicapée.
En ce qui concerne les personnes venant de l'extérieur et désirant se rendre à Gérardmer, nombre de parents vont y regarder à deux fois avant d'inscrire leur enfant au lycée hôtelier ou au lycée technique de Gérardmer, avec de si mauvaises conditions d'accès en transport collectif. Combien de touristes, français ou allemands, belges ou hollandais, utilisateurs des transports collectifs, vont renoncer à Gérardmer, au profit de localités desservies par le train.
Des études ont été faites concernant la réouverture de la ligne, mais toutes, ces dernières années, accumulent les éléments présentant la réouverture de la ligne comme non souhaitable.
En ce qui concerne le coût de rénovation de l'infrastructure, les chiffres avancés par les 2 études, GEODE d'avril 2005 et EGIS en 2008 posent question. GEODE reprend une estimation de 2004 de la SNCF, dont on connaît l'enthousiasme en faveur d'une réouverture, à 28 millions d'euros. EGIS chiffre cette rénovation à 30,6 millions d'euros pour 16,4 km soit 1,86 millions d'euros du kilomètre. Or des rénovations du même type on été faites pour des coûts moindres rapportés au kilomètre, notamment Haller Willem en Allemagne dans la région d'Onsnabruck pour 0,71 millions du km (http://zierke.com/web-page/dissen-osnabrueck). A t'on vraiment cherché à optimiser les coûts de rénovation?
En ce qui concerne la fréquentation attendue, GEODE l'estime à 21 clients par jour. Cette valeur ne manque pas de surprendre quand on sait que la gare de Bruyères (3315 habitants) est fréquentée par 126 personnes par jour et que même la gare de Corcieux (1648 habitants), très éloignée de la localité, est fréquentée par 13 personnes par jour (www.metrolor.fr).
En ce qui concerne l'exploitation, on peut penser que 6 AR journaliers ne sont pas suffisants pour rendre la desserte attractive.
Par suite de la vente de l'emprise de la voie ferrée dans Gérardmer, il est proposé de créer une nouvelle gare à l'extrémité Est de Gérardmer, nouveau terminus de la ligne. La rupture de charge ainsi imposée pour rejoindre le centre ville constituera un handicap tel que l'attractivité de la réouverture de la ligne sera fortement compromise. N'oublions pas que, le train circulant en voie unique avec des contraintes de croisement, il faudra prévoir des délais de correspondance suffisants entre les bus de rabattement et le train pour garantir la régularité du train, ce qui allongera d'autant les temps de parcours.
Avec toutes les conditions prévues dans les différents rapports cités ci dessus, et notamment la limitation de la ligne à l'entrée Est de la ville de Gérardmer, la transformation de cette ligne en voie verte est sans doute la meilleure formule, mais ce serait vraiment regrettable.
S'il y a une réelle volonté de trouver une solution ferroviaire optimale, il faut relancer des études pour :
- optimiser les coûts d'investissement pour en limiter le montant (un objectif de 1 à 1,1 millions d'euros par kilomètre de ligne est sans doute atteignable), ce qui mettrait le coût de rénovation de l'infrastructure à moins de 20 millions d'euros
- amener le train jusqu'à son ancienne gare. Pour cela, il faut reprendre une bande de 5 mètres de large, ce qui devrait être réalisable, la plateforme dans Gérardmer étant, soit inoccupée, soit occupée par des parkings dont il devrait être facile de reconstituer le nombre de places. En ce qui concerne le hangar construit rue de Lorraine sur l'emprise ferroviaire, il devrait pouvoir être trouvé, entre gens de bonne volonté, une solution satisfaisante, à la fois pour le chemin de fer, et pour l'entreprise qui a construit le hangar, utilisé semble t il pour le stockage de palettes et de copeaux métalliques
- optimiser la desserte de tout l'axe de Arches à Gérardmer en repensant le nombre et le positionnement des points d'arrêt, et les horaires de façon à servir au mieux la population, à la manière d'un tram-train.
- prévoir une exploitation performante de type tram-train avec conduite à agent seul, personnel de contrôle aléatoire, organisation de coupe/accroche à Laveline, une partie continuant sur Gérardmer, et l'autre sur St Dié et inversement.
- estimer le trafic de façon plus précise.
Si à l'issue de ces études menées de façon objective, il apparaît que la réouverture de la ligne ne présente pas un rapport "utilité/coût", suffisant, alors, je me rangerai à l'avis de ceux qui l'ont fermée.
Je vous prie d’agréer, l’expression de mes salutations distinguées.
Pierre Debano
Cette lettre est une analyse très complète et argumentée, je formule le souhait qu'elle soit prise en considération par les autorités dans l'intérêt collectif.